Reporters sans frontières condamne la décision des
autorités de fermer, le 22 juillet 2014, un quotidien et une chaîne
satellitaire, tous deux propriétés d’un homme proche de l’opposition.
L’organisation s’interroge sur les motivations des autorités.
Simple différend juridique ou réglement de
comptes politique ? Le ministère de l’Information a annoncé, le 22
juillet 2014, avoir retiré les licences du quotidien Alam Al-Youm et de la chaîne satellitaire Al-Youm TV, en raison du non-respect des conditions nécessaires à l’octroi des licences par ces deux médias.
Une des raisons avancées par le ministère est que le directeur général de ces deux médias, , n’est pas de nationalité koweïtienne,
contrairement aux dispositions prévues par le code de la presse et de
l’audiovisuel. L’article 3 de ce code précise en effet que la
nationalité koweïtienne constitue un pré-requis indispensable à
l’obtention d’une licence pour un média.
Or, Ahmed Jabr Al-Shemmari a été déchu, la veille, de sa
nationalité koweïtienne, sur simple décision du Conseil des ministres,
l’interdisant par la même de posséder toute licence pour un média. Des
anciens parlementaires de l’opposition n’ont pas hésité à qualifier
cette décision de “vengeance politique”, exemple de l’acharnement des autorités à l’encontre de membres de l’opposition.
Cette déchéance intervient une semaine après que le Conseil des ministres a adopté un décret
visant à lutter contre l’instabilité dans le pays et permettant ainsi
de retirer la nationalité koweïtienne à tout individu qui constituerait
un danger pour la sécurité nationale. L’adoption d’un tel décret
s’appuie sur les alinéas 4 et 5 de l’article 13 de la loi
numéro 15 relative à la nationalité datant de l’année 1959 qui
stipulent que toute personne portant atteinte aux intérêts politiques,
économiques et sociaux de l’Etat, ou appartenant à “une instance
politique étrangère” peut se voir retirer sa nationalité. Quatre autres
personnes ont ainsi été déchues de la nationalité koweïtienne, le 21
juillet 2014, parmi lesquelles un ancien parlementaire de l’opposition Abdullah Al-Barghash. Maître Mohamed Al-Hamidi, avocat des droits de l’homme au Koweït, a déclaré
qu’une telle décision est sans précédent dans l’histoire du pays,
affirmant que c’est la première fois que des citoyens koweïtiens sont
déchus de leur nationalité sans ordonnance judiciaire.
On peut en effet s’interroger
sur la légalité de cette décision : l’article 15 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme indique que “nul ne peut être
arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de
nationalité”. Or, l’article 11bis de la loi koweïtienne sur la nationalité précise qu’un citoyen naturalisé abandonne automatiquement toute autre nationalité.
“En déchouant arbitrairement Ahmed Jabr Al-Shemmari
de sa nationalité koweïtienne, les autorités lui ont de fait retiré la
possibilité de posséder toute licence pour un média. Reporters sans
frontières dénonce le caractère inique de cette décision, ainsi que
l’acharnement des autorités du Koweït contre cette figure de l’opposition,” déclare Virginie Dangles, adjointe à la direction de la Recherche de Reporters sans frontières. “Pour
museler les voix de l’opposition, tous les prétextes sont bons. Les
autorités koweïtiennes doivent impérativement revenir sur ces mesures
qui violent de manière flagrante les engagements internationaux de leur
pays en matière de respect des libertés fondamentales”.
Autre raison invoquée par le ministère : l’absence de réorganisation de l’organigramme de la chaîne, comme exigée par le ministère deux mois plus tôt, en application de l’article 4 du code de la presse et de l’audiovisuel. Or l’alinéa 4 de l’article 10
de ce même code stipule qu’un média peut voir sa licence retirée si la
nomination du directeur général ne remplit pas les conditions légales.
Ce dernier dispose alors d’un délai de deux mois pour se conformer à la
loi.
En 2012, le ministère de l’Information avait déjà décidé d’annuler la licence de la chaîne Al-Youm TV, sur la base de l’alinéa 4 de l’article 10 du code de la presse et de l’audiovisuel, reprochant à
de ne pas occuper son poste à temps plein. La société détentrice de la
chaîne avait fait appel de la décision, et la justice a finalement rendu
un verdict en faveur d’Ahmed Al-Shemmari, en raison d’un vice de forme.
Reporters sans frontières rappelle que le quotidien Alam Al-Youm et la chaîne satellitaire Al-Youm TV ont déjà fait l’objet de deux suspensions
en avril et juin derniers pour avoir bravé l’interdiction de publier et
de diffuser toute information relative à la préparation d’un éventuel
coup d’Etat au Koweït.
Le Koweït a perdu 13 places dans le Classement 2014 de
la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. Il figure
aujourd’hui à la 91e place sur 180 de l’édition 2014.