A l’heure où le sida continue sa progression dans le monde et que les fonds manquent, une équipe française démontre l’efficacité, l’innocuité et la qualité d’une association fixe de trois antirétroviraux génériques. Cette trithérapie plus pratique et moins chère constitue un réel espoir pour les pays en développement.
Permettre à trois millions de personnes séropositivesde bénéficier de traitements antirétrovirauxd’ici 2005 : tel est l’objectif affiché de l’OrganisationMondiale pour la Santé. Mais à mesure quel’échéance approche, les problèmes paraissentde plus en plus insurmontables. Pour les pays endéveloppement, la solution pourrait passer notamment par lapromotion de trithérapies génériquescombinées et à dose fixe, simples et bonmarché.Un enjeu capital pour les pays en développementPriorité mondiale, l’accès aux antirétrovirauxdans les pays en développement est un véritabledéfi. Une des stratégies adoptées estl’utilisation de combinaisons d’antirétrovirauxgénériques à doses fixes qui associent troismédicaments de deux classes différentes dans unmême comprimé. Le comprimé baptiséTriomune produit par le laboratoire indiengénériqueur Cipla combine la lamivudine, la stavudineet la névirapine.Moins cher et plus pratique d’utilisation, ces comprimésfacilitent le suivi du traitement, simplifient la gestion descommandes et du stockage des médicaments. Du fait de leurcoût inférieur aux trithérapies demédicaments brevetés (20 dollars par mois contre 35),ils offrent la possibilité de traiter plus de patients.Plusieurs milliers de malades ont d’ailleursbénéficié de cette option dans certains paysen développement comme en Inde, en Thaïlande et danscertains pays d’Afrique.Mais prétextant le manque d’études cliniquescomplètes prouvant l’efficacité, l’innocuitéet la qualité des produits, certaines agences d’aideinternationale refusent de les reconnaître. C’est notammentle cas de l’agence américaine pour la grande satisfactiondes laboratoires nationaux… Mais une étudefrançaise menée en collaboration avec deséquipes camerounaises et suisse par des chercheursfrançais(1) de l’Institut de Recherche pour leDéveloppement (IRD) devrait battre en brèche cetargument…Plus pratique et moins cherFinancée par l’Agence nationale de lutte contre le sida(ANRS), l’essai clinique conduit par les chercheurs Eric Delaporteet Christian Laurent a été réalisé dansle cadre d’un projet pilote d’accès aux médicamentsantirétroviraux initié à Yaoundé(capitale du Cameroun). Dans deux hôpitaux de la ville,soixante patients infectés par le VIH ont étésuivis pendant six mois et traités à raison d’uncomprimé deux fois par jour. Outre l’état desanté des patients, l’étude a permis d’évaluerl’efficacité, la tolérance et la qualité dusuivi du traitement, ainsi que l’apparition de résistances.Résultat : 80 % des patients présentaient une chargevirale (quantité de virus dans le sang) indétectable(inférieure à 400 copies/ml). Par ailleurs, leursdéfenses immunitaires ont étérestaurées comme en témoigne l’augmentation du tauxde lymphocytes T4.Le Dr Christian Laurent nous précise : “Ce traitement estdonc aussi efficace que les trithérapies conventionnelles,et ceci est concordant avec les études sur la qualitédu médicament. Par ailleurs, la prise d’un seulcomprimé matin et soir a facilité le bon suivi dutraitement“ : Comme le montre le respect de la prescription dans 99% des cas et les concentrations sanguines desantirétroviraux. Deux cas de résistances ontcependant été observés par les chercheurs : unchez un patient n’ayant pas suivi correctement son traitement etl’autre chez une femme ayant reçu avant le début del’essai et alors qu’elle était enceinte un des troisantirétroviraux (la névirapine) pour prévenirla transmission du virus à son enfant. “Des étudesthaïlandaises avaient déjà noté cephénomène de survenue précoce derésistance chez des femmes ayant reçu de lanévirapine en prévention de la transmissionmère-enfant du VIH“ nous précise le Dr ChristianLaurent.Il estime que ces résultats prouvent que “Latrithérapie générique à doses fixesétudiée est à la fois aussi efficace, aussibien tolérée et d’aussi bonne qualité que latrithérapie conventionnelle“. Autant d’arguments en faveurde son utilisation comme traitement de première intentiondans les pays en développement. Conscient que des essaisincluant plus de patients sur un temps plus long seront importants,l’étude se poursuit actuellement.Une démonstration finale et une avancéepolitiquePrésentée à Bangkok lors de laconférence mondiale sur le sida, à la mi-juillet2004, cette étude (déjà parue dans The Lancet)a suscité beaucoup d’enthousiasme de la part du directeurexécutif d’Onusida lui-même. Les résultatspourraient donc inciter les agences de certains pays à neplus contester le choix de l’Organisation Mondiale de laSanté qui mise notamment sur les génériques,mais également pousser les laboratoires pharmaceutiquesà commercialiser des combinations à doses fixesd’antirétroviraux et à continuer de baisser leursprix pour les pays en développement.L’éditorial(2) paru dans la même revue rappellecependant que les patients des pays en développement ont demultiples infections opportunistes. Ainsi, la connaissance desinteractions entre les antirétroviraux et les traitements deces infections (notamment les traitements de la tuberculose) estindispensable pour leur gestion simultanée. “Outre lesconséquences sur la concentration des antirétrovirauxdans le sang, leur efficacité et les effets secondaires, laprise concomitante de ces multiples traitements constitueégalement un enjeu en terme d’observance. Pour latuberculose par exemple, la prise en charge nécessiteplusieurs prises de différents comprimés. Et l’onsait que la multiplication des comprimés ne facilite pas unbon suivi des prescriptions…“ nous précise le DrLaurent.20 milliards de dollars à trouver d’ici 2020Néanmoins, cette étude confirme l’efficacitéde forme générique moins coûteuse et pluspratique d’utilisation. Ces résultats devraient conforterl’Organisation Mondiale de la santé qui a déjàfait le choix de cette promotion des formes de médicaments.Mais permettront-ils à cette institution d’atteindre sesobjectifs en terme d’accès aux traitements ? Actuellement,près de 40 millions de personnes vivent avec le VIH, sixà neuf millions de malades risquent de mourir dans les deuxans faute de traitement et seulement 440 000 ont actuellementaccès aux médicaments. Même si le prix dutraitement continue de baisser (aujourd’hui aux alentours de US$150 par personne par an), les fonds manquent cruellement… Bienque les dépenses mondiales sur le SIDA aientété multipliées par 15, de 300 millions dedollars en 1996 à un peu moins de 5 milliards de dollars en2003, ce total couvre moins de la moitié des besoinsestimés pour 2005 dans les pays en développement.Selon de récentes estimations de l’Onusida(3), quelque 12milliards de dollars seront nécessaires d’ici 2005 et 20milliards de dollars d’ici 2007 pour la prévention et laprise en charge dans les pays à faibles et moyensrevenus.David Bême
1 – Lancet, 2004, vol. 364 : 29-34.
2 – Lancet, 2004, vol. 364 :3-4
3 – Rapport 2004 de l’OnusidaLe rapport complet de l’Onusida est disponible en ligne :http://www.unaids.org/