Toutankhamon est donc présent dans la capitale française. En l’occurrence à la Grande Halle de la Villette depuis le 23 mars. L’exposition devait se terminer le 15 septembre. Elle a été prolongée d’une semaine et s’achèvera finalement le 22 septembre. Venu de Los Angeles, le pharaon continuera ensuite sa tournée de cinq ans à Londres, Sydney et dans six autres villes. Au-delà de son aspect culturel, l’exposition permet à l’Egypte de réaliser une opération de charme auprès des touristes occidentaux. Il y a 52 ans, Toutankhamon était accueilli dans la capitale française avec la majesté et les mesures de sécurité qui siéent à un pharaon de la Haute et de la Basse-Egypte. Par une nuit de janvier, il avait été escorté “par une escouade de motards, de CRS, de pompiers et de policiers en civil depuis l’aéroport du Bourget” jusqu’au Petit-Palais, raconte Le Monde.L’exposition, qui accueillait alors le fameux et somptueux masque d’or contrairement à 2019, est un événement national. Elle symbolise les bonnes relations retrouvées entre la France et l’Egypte après le fiasco de Suez. Les Français ont tendance à croire qu’ils sont les premiers à recevoir les splendeurs du pharaon. En fait, ils ont été précédés par les Américains et les Japonais… Même si le masque n’avait effectivement jamais quitté les rives du Nil avant d’arriver sur les bords de la Seine !L’affaire avait été initiée par Christiane Desroches-Noblecourt, papesse de l’égyptologie en France et conservateure des Antiquités égyptiennes au musée du Louvre. Laquelle avait effectué près d’une centaine d’allers et retours entre Paris et Le Caire pour monter l’exposition. A cette époque, sous l’impulsion du président Gamal Abdel Nasser, l’Egypte entend construire un barrage à Assouan. Lequel risque d’entraîner une destruction des temples nubiens, notamment celui d’Abou Simbel.
“Est-ce que vous avez été habilité ?”Christiane Desroches-Noblecourt va se démener pour les monuments antiques de Nubie en se livrant à une sorte d’opération de troc. Elle propose aux autorités égyptiennes une exposition à Paris sur Toutankhamon et, de son propre chef, “promet que les recettes de la manifestation alimenteront le fonds de sauvegarde” des temples, raconte Le Monde. Elle suggère que Paris participe au sauvetage de celui d’Amada. N’ayant pas été habilitée à parler au nom des autorités françaises, cette ancienne résistante au caractère bien trempé demande alors un entretien à l’Elysée avec Charles de Gaulle. Entretien qu’elle a elle-même raconté. Le chef de l’Etat lui reproche d’avoir “osé” faire de telles déclarations. A la fois déférente et insolente, elle n’hésite pas à lancer : “Général, vous qui êtes notre gloire, quand vous avez parlé à la radio le 18 juin (1940), est-ce que vous avez été habilité par Pétain, ou pas ?” Et l’égyptologue de préciser : “Il m’a regardée. (…) Il s’est mis à rigoler. Il m’a dit : ‘Vous avez gagné.’ Et il m’a aidée.”On peut penser que le régime de Sissi, qui exerce une “répression sans précédent” selon Amnesty International, a aussi entamé avec Toutankhamon une offensive diplomatique pour améliorer son image de marque à l’extérieur. “Les Egyptiens sont très sensibles à celle-ci et font d’énormes efforts pour être estimés”, observe l’égyptologue.La politique de l’actuel pouvoir ne risque-t-elle pas d’entraver ces efforts ? “De fait, l’Egypte n’est pas le paradis des droits de l’Homme. Mais il faut dire que l’armée a restauré une certaine stabilité dans un Proche-Orient à feu et à sang, et une certaine sécurité après les attentats. C’est fondamental. Mes collègues égyptiens préfèrent cela pour le développement de leurs activités”, poursuit le scientifique français. Pour autant, il convient de préciser que la situation n’est pas totalement stabilisée… Des attaques ont ainsi encore visé des étrangers en décembre 2018.
L’intervention du secteur privéAutre question : l’organisation de l’exposition parisienne par un groupe privé, l’américain IMG. En 1967, la manifestation était patronnée par les Etats. En 2019, “il s’agit d’un projet du Service égyptien des antiquités, mené à bien par une compagnie privée dans le but de rapporter de l’argent”, explique Dominique Farout, conseiller scientifique de la manifestation parisienne cité par Le Monde. Petit signe qui ne trompe pas : IMG a coproduit le catalogue de la manifestation, signé de Zahi Hawass, le très médiatique archéologue égyptien au chapeau de brousse.Qu’en pense l’égyptologue français ? “Le financement par ces grandes sociétés privées est lié au fonctionnement des Etats qui n’ont plus d’argent. On retrouve cette problématique dans de nombreux secteurs, du montage d’une pièce de théâtre à l’organisation d’un chantier de fouilles. Nous autres, chercheurs, nous sommes contraints de nous aligner sur nos collègues anglo-saxons, qui eux ont une culture du parrainage. On passe parfois plus de temps à chercher de l’argent qu’à mener nos travaux !” Et de conclure : “Je ne pense pas qu’un financement privé ait une influence sur la qualité” des travaux archéologiques.